Prescription de l’action civile découlant d’un recours introduit devant le Conseil d’Etat : quand la Cour constitutionnelle remet les justiciables sur un pied d’égalité

Ye Feng (Avocate – DLM)

 

L’article 2244 du Code civil dispose qu’une citation en justice interrompt la prescription jusqu’au prononcé d’une décision définitive. Les mêmes effets interruptifs sont conférés par cet article aux recours introduits devant le Conseil d’Etat en ce qui concerne l’action en réparation du dommage causé par l’acte administratif annulé.

Ces dispositions ont été insérées par une loi du 25 juillet 2008 et justifiées dans les travaux préparatoires dans un objectif d’économie procédurale.

En effet, au vu de l’arriéré que subissait le Conseil d’Etat à l’époque, le risque était présent que le justiciable obtienne l’annulation de l’acte administratif attaqué plus de cinq ans après avoir introduit son recours, auquel cas l’action en réparation de dommage aurait été prescrite (article 100 des lois sur la comptabilité de l’Etat et article 2262bis du Code civil).

Le législateur avait également à cœur d’éviter qu’une action devant les juridictions judiciaires soient introduites à titre conservatoire, simultanément au recours au Conseil d’Etat, entraînant un coût et un encombrement aussi bien pour le justiciable que rôles des tribunaux civils.

C’est au regard de cet objectif que la Cour constitutionnelle s’est prononcée, dans un arrêt n°148/2018 du 8 novembre 2018, sur l’inconstitutionnalité de la disposition précitée dans la mesure où elle est interprétée comme ne conférant un effet interruptif de la prescription qu’aux recours introduits devant le Conseil d’Etat qui aboutissent à un arrêt d’annulation, à l’exclusion de ceux qui aboutiraient à un arrêt de rejet, notamment pour perte d’intérêt, comme ce fut le cas dans l’espèce soumise à la Cour.

Une telle conclusion est raisonnable dès lors que le Conseil d’Etat peut rejeter un recours en annulation sans avoir examiné le fond de l’affaire, de sorte que l’introduction d’une action en réparation devant les juridictions judiciaires conserve encore tout son intérêt.

Il est à noter à cet égard que l’article 4 de la loi spéciale du 6 janvier 1988 sur la Cour constitutionnelle prévoit qu’un nouveau délai de six mois est ouvert pour l'introduction d'un recours en annulation d'une disposition par toute personne physique ou morale justifiant d'un intérêt, lorsque la Cour, statuant sur une question préjudicielle, a déclaré que cette disposition viole une des règles ou un des articles de la Constitution.

Ceci peut s’avérer intéressant dès lors que l’article 18 de cette même loi spéciale stipule que « nonobstant l'écoulement des délais prévus par les lois et règlements particuliers, les actes et règlements des diverses autorités administratives ainsi que les décisions des juridictions autres que celles visées à l'article 16 de la présente loi peuvent, s'ils sont fondés sur une disposition d'une loi, d'un décret ou d'une règle visée à l'article 134 de la Constitution, qui a été ensuite annulée par la Cour constitutionnelle, ou d'un règlement pris en exécution d'une telle norme, faire, selon le cas, l'objet des recours administratifs ou juridictionnels organisés à leur encontre dans les six mois à dater de la publication de l'arrêt de la Cour constitutionnelle au Moniteur belge ».

 

 

N.B. : Par deux arrêts n°241.865 et 241.866 du 21 juin 2018, l'assemblée générale de la section du contentieux administratif du Conseil d'Etat, s’est prononcée dans le même esprit, bien que dans un contexte différent.

 

Il a en effet été considéré qu’une partie requérante, qui a perdu son intérêt à obtenir l'annulation de l'acte attaqué en cours d'instance mais a introduit une demande d'indemnité réparatrice avant l'arrêt constatant cette irrecevabilité, garde un intérêt à obtenir le constat de l'illégalité de cet acte aux fins d'entendre statuer ensuite sur sa demande d'indemnité réparatrice.